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La vie religieuse
 
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Apprentissage de la laïcité
 

Dans cette décennie des années 50, en dehors de l’office du dimanche matin, les paroissiens étaient en outre invités à une messe basse le vendredi à 8 heures, ce qui conduisait par contre les enfants de chœur de service… à arriver en retard à l’école ! Même en se pressant à la sacristie pour remplacer la soutane par la blouse, même en courant les quelques cents mètres séparant l’église de l’école, ceux-ci se présentaient régulièrement chaque semaine devant la porte vitrée de la salle de classe alors que le maître d’école était en train de terminer la leçon de morale.

Comme quelques camarades de classe, j’ai connu plusieurs fois cette situation embarrassante d’où seule une procédure adéquate apprise préventivement pouvait nous sortir proprement… plus exactement, nous permettre d’entrer ! Ainsi, tandis que le maître, feignant d’ignorer les retardataires, continuait de concentrer ses efforts sur sa classe, il s’agissait pour nous de frapper énergiquement à la porte, d’attendre quelques minutes l’autorisation de l’ouvrir et de saluer haut et fort avant d’expliquer clairement la raison de notre retard. S’ensuivait généralement un accueil glacial qui, dans notre naïveté enfantine et par rapport à notre « bonne excuse », nous surprenait énormément.

Etonnement d’autant plus grand que notre camarade de classe, Jacques Harrouard, également retardataire de temps à autre avec un motif, apparemment moins grave – il aidait ses parents à traire les vaches avant l’école – semblait mieux s’en sortir que nous ! N’y avait-il pas quelques dissonances entre l’instituteur et le curé ? C’est la question que je me posai dans un premier temps… avant de rejeter finalement cette hypothèse, peu probable au regard des relations cordiales qu’entretenait l’instituteur avec tous les habitants de Royaumeix ! Plus tard seulement, je trouverai la véritable explication de cette attitude intransigeante et « si peu compréhensible » de la part du maître d’école… en m’intéressant au principe de laïcité qui constitue l’un des fondements de la République française !

A présent, je comprends mieux pourquoi notre instituteur nous faisait les gros yeux lorsqu’il nous voyait arriver avec notre sourire d’enfants de chœur à la fin de sa leçon de morale laïque mais, somme toute, profondément altruiste. Connaissant bien les tristes leçons de l’Histoire – on sait que l’Etat n’a pas toujours été neutre à l’égard des organisations religieuses – il était certainement convaincu lorsqu’il défendait la laïcité.

En réalité, il ne faisait qu’appliquer strictement les directives que proposait Jules Ferry dans sa célèbre Lettre aux instituteurs du 17 novembre 1883 dont voici quelques larges et beaux extraits : « L'instruction religieuse appartient aux familles et à l’Eglise, l'instruction morale à l'école. […] En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral ; c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul. […]

Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre, avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. […] La famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens. […] D’autres se chargeront plus tard d’achever l’œuvre que vous ébauchez dans l’enfant et d’ajouter à l’enseignement primaire de la morale un complément de culture philosophique ou religieuse. […]

Quand elles [les populations] vous auront vu à l’œuvre, quand elles reconnaîtront que vous n’avez d’autre arrière-pensée que de leur rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs, quand elles remarqueront que vos leçons de morale commencent à produire de l’effet, que leurs enfants rapportent de votre classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d’obéissance, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin tous les signes d’une incessante amélioration morale, alors la cause de l’école laïque sera gagnée (1). »

En ce début de XXIe siècle, bon nombre encense la noblesse de l’éducation d’autrefois… une éducation des enfants partagée harmonieusement entre l’école, la famille et l’Eglise dans un contexte de laïcité, mais contrairement à ce qu’on veut trop souvent faire dire à l’histoire, il s’agissait d’une laïcité foncièrement non antireligieuse, comme l’atteste la mémorable lettre de Jules Ferry mentionnée ci-dessus.

Nous sommes effectivement loin aujourd’hui de la conception première de la laïcité, de la pureté des idéaux proclamés par le promoteur de l'école gratuite, laïque et obligatoire. Toutefois, au cours du temps, la laïcité à l’école publique s’est peu à peu imposée. Certes, « elle trouve sa principale expression dans l’enseignement, mais se traduit aussi par un encadrement des relations financières entre les collectivités publiques et les religions et par le principe de neutralité des services publics. Elle repose sur deux principes : l’obligation de l’Etat de ne pas intervenir dans les convictions de chacun et l’égalité de tous devant la loi, quelle que soit leur religion. Elle implique ainsi la liberté de conscience et de culte, la libre organisation des Eglises, leur égalité juridique, le droit à un lieu de culte et la neutralité des institutions envers les religions (2) ».

Ainsi, « l’école est, par la nature même de sa mission, au coeur du dispositif laïque républicain. C’est par l’école que la laïcité a fait son entrée dans la société française. Les lois scolaires de la IIIe République ont anticipé de 20 ans la séparation de l’Etat et des Eglises en France (3) ».

Mais avec l'émergence récente dans notre société de nouvelles sensibilités religieuses, « le sens et le contenu du concept de laïcité se sont transformés […] L’imprégnation très forte du christianisme et de l’Eglise catholique de la deuxième moitié du XIXe siècle a fait place aujourd’hui à une société multiconfessionnelle […] On assiste probablement à un essoufflement de la laïcité telle qu’elle a été construite et vécue depuis plus de cent ans (4) ».

Face à cette évolution de notre société, les questions d'une éventuelle redéfinition de la laïcité ou alors de sa réaffirmation sont régulièrement remises au centre du débat public avec toutes les dissensions dont elles sont porteuses. Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène (Observatoire de la laïcité) ont bien raison de rappeler que « la laïcité, c'est d'abord une liberté. Celle de croire ou de ne pas croire, et de l'exprimer dans les limites de la liberté d'autrui. La laïcité n'est pas une conviction, mais le cadre qui les autorise toutes (5) ».

 
La petite école – laïque – vue du haut du clocher de l'église !
(Photo Jacques Poinçot)

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1. Jules Ferry, Circulaire connue sous le nom de « Lettre aux instituteurs du 17 novembre 1883 », Discours et opinions de Jules Ferry, Vol. 4, Paris : Armand Colin et Cie, 1896, p. 259-267.
2. Anonyme, Quelle laïcité aujourd’hui ?, Texte publié le 30 mai 2006, Portail « Vie publique » (service édité par la Direction de l’information légale et administrative), [En ligne] http://www.vie-publique.fr/, (consulté en octobre 2012).
3. Jacques Valade, « Projet de loi Laïcité - Port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », Rapport n° 219 (2003-2004) fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 25 février 2004, [En ligne] http://www.senat.fr/, (consulté en octobre 2012).
4. Pierre Singaravelou, Laïcité : enjeux et pratiques, Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 2008, p. 11.
5. Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, « La laïcité ne doit pas être incantatoire, elle doit se vivre au quotidien », Marianne, 13-19 février 2015, p. 51.

 
 
© Claude Bouchot